Ceci est la traduction d'un article paru en anglais ici le 3 mai 2021.
Dépasser Vatican II
Comment résoudre un problème tel que
Vatican II ?
Bien qu'elle ne soit peut-être pas
aussi accrocheuse que le fameux air de la Mélodie du bonheur,
cette question est beaucoup plus complexe que d'essayer de marier la
future baronne Von Trapp. Les catholiques ont débattu du concile
depuis avant même qu'il ne fût terminé en 1965. Alors qu'il avait
pour but de propulser l’Église dans le monde moderne, il ne fait
aucun doute que Vatican II et la question de son interprétation
correcte ont été le sujet le plus clivant dans l’Église contemporaine - et le débat qui fait rage ne fait pas mine de se
tasser. Pourtant, il serait peut-être temps de dépasser le concile.
Pour les catholiques libéraux, Vatican
II représente la liberté ; plus précisément, la liberté vis-à-vis du passé. Au lieu d'être liée aux dogmes et aux pratiques des
générations précédentes, Vatican II a donné à l’Église
l'opportunité de briser ces chaînes et de bâtir une nouvelle
Église pour des temps nouveaux. Depuis le rejet de l'enseignement de
l’Église sur l'immoralité de la contraception artificielle,
jusqu'au plaidoyer pour les femmes prêtres, les catholiques de
conviction libérale sont essentiellement devenus des protestants,
façonnant leurs propres croyances - quitte à être en contradiction
directe avec les enseignements antérieurs de l’Église - tout
cela, bien entendu, dans l' « esprit de Vatican II ».
En réponse à cette aberration
post-conciliaire, beaucoup de catholiques conservateurs ont réagi en
embrassant ce que le pape Benoît XVI a appelé l' « herméneutique
de la continuité ». Le pape entendait par là que Vatican II
devait être interprété d'une manière cohérente avec les 1960
années précédentes de la Tradition catholique (« herméneutique »
n'est qu'un mot sophistiqué qui signifie « méthode
d'interprétation »). En d'autres termes : ne lisez pas la
Tradition à la lumière du concile ; lisez le concile à la
lumière de la Tradition.
C'est là un conseil solide et catholique. Les conciles œcuméniques ne sont pas de nouvelles
révélations du Ciel qui supplanteraient les révélations
antérieures. Ils sont une part organique de la vie continue de
l’Église, et doivent donc être traités comme une partie d'un
ensemble plus vaste, pas comme une rupture dans une nouvelle
direction.
Hélas, ce principe catholique tout à
fait acceptable de l' « herméneutique de la continuité »
(HdC) s'est transformé aujourd'hui en quelque chose de moins
catholique. Au lieu d'être utilisé pour replacer Vatican II dans
une perspective historique, il a fait de Vatican II exactement le
« superconcile » que l'herméneutique était censée
empêcher. Plus précisément, il est devenu un bâton pour battre
quiconque ose critiquer le concile lui-même.
Par exemple, si un catholique suggère
que, peut-être, certains passages de Vatican II sont tellement mal
rédigés qu'ils peuvent conduire facilement les gens vers l'hérésie,
la brigade HdC surgit pour défendre le concile : « Si on
lit cela en continuité avec l'enseignement catholique, alors cela ne
peut pas être compris de manière hérétique ! ».
C'est peut-être vrai pour des théologiens qui connaissent toutes
les nuances de la doctrine catholique, mais cela ne veut pas dire que
la rédaction n'est pas médiocre et confusionnelle.
Ou bien, si un catholique relève que
le concile met un accent exagéré sur les aspects positifs des
autres religions, sans prendre en compte leurs défauts, la brigade
HdC démolit ces critiques, en expliquant que ces déclarations
doivent être contrebalancées par les enseignements antérieurs. Là
encore, tout cela est bel et bon pour des intellectuels qui
connaissent cette histoire en profondeur, mais le catholique moyen
prend cet accent nouveau comme le signe que nous ne devrions plus
mentionner les erreurs des religions non catholiques. En d'autres
termes, il est parfaitement légitime de noter que Vatican II donne
une vision déséquilibrée.
Pourtant, la seule pensée de critiquer
le concile fait blêmir bien des catholiques fervents et orthodoxes.
Comment cela pourrait-il jamais être convenable de critiquer la plus
haute autorité (aux côtés du pape) dans l’Église ? Pour
calmer ces inquiétudes, laissez-moi partager une citation de Joseph
Ratzinger, l'homme qui devait devenir le pape Benoît XVI :
« Chaque concile valide dans
l'histoire de l’Église n'a pas été un concile fructueux ;
en dernière analyse, beaucoup d'entre eux ont été une perte de
temps ».
Ces mots peuvent choquer les
sensibilités catholiques ; ils semblent presque émaner du
clavier d'un militant anticatholique numérique, pas d'un futur pape.
C'est pourtant une interprétation objective de l'histoire.
Les catholiques doivent admettre que
parfois les conciles réussissent, et que parfois ils échouent. Une
méprise répandue parmi les catholiques est que l'Esprit Saint guide
chaque aspect des conciles œcuméniques, et que, par conséquent,
tous les conciles sont des succès. Ceci n'est pas l'enseignement
catholique. Le Saint Esprit agit d'abord comme un protecteur -
il protège le dépôt de la foi en s'assurant qu'aucun concile ne
peut définitivement déclarer une hérésie comme une vérité
catholique. C'est une protection négative, pas positive.
Cela dit, il est vrai que le Saint
Esprit peut guider un concile (et Il le veut!), mais les pères
conciliaires ont la liberté d'accepter ou de rejeter ce guide -
exactement comme tous les hommes disposent de cette liberté en
toutes choses.
Au début du XVIe siècle, alors que
l’Église avait désespérément besoin d'une réforme, le pape
Jules II convoqua le cinquième concile de Latran. Malheureusement,
le concile échoua. La réforme qu'il recherchait n'a pas pris, et
sept mois après la clôture du concile, Martin Luther publia ses 95
thèses, à l'origine de la réforme protestante. Cela n'a pas
fait de Latran V un concile invalide ; c'était seulement un
concile sans conséquences (ou une « perte de temps »,
comme dirait Ratzinger).
Si des conciles entiers peuvent réussir
ou échouer, la même chose est vraie des documents individuels des
conciles. Parfois ils sont utiles, parfois ils ne le sont pas.
Si nous refusons de reconnaître que
les conciles légitimes - et les documents légitimes des conciles -
peuvent échouer dans leur mission, nous agissons comme les membres
d'un culte qui blanchissent et réécrivent l'histoire dans un effort
pour inciter le monde à croire que l’Église n'a jamais commis de
tel faux-pas. Conçu, peut-être, comme un effort bien-intentionné
pour défendre la bonne renommée de l’Église, en réalité il
s'agit d'une attaque contre ce don de Dieu qu'est notre raison.
Les catholiques doivent aussi admettre
que tous les conciles sont ancrés dans l'époque en laquelle ils se
sont tenus. Cela ne change la vérité d'aucune des déclarations
dogmatiques qu'ils prononcent, mais cela nous autorise à interpréter
correctement - voire, plus tard, à potentiellement rejeter - leurs
conseils pratiques et leur vision du monde contemporaine, lorsqu'ils
ne sont plus pertinents. Il ne fait aucun doute que la manière dont
les pères conciliaires de Vatican II ont vu et interprété le monde
était lourdement influencée par une vision du monde
(essentiellement occidentale) des années 1960. Par exemple,
rétrospectivement, une grande partie du concile semble excessivement
optimiste quant au progrès du genre humain, particulièrement à la
lumière de la façon dont le monde est passé à une culture
nihiliste de mort et d'illusion depuis cette époque.
Plus encore, le « ton »
d'un concile dépend généralement de son milieu contemporain. Les
sujets sur lesquels un concile met l'accent - ou qu'il ignore -
reflètent une certaine vision du monde, qui peut ne plus être
appropriée pour les générations futures. Comme je l'ai mentionné
précédemment, Vatican II s'est focalisé sur les éléments
positifs d'autres religions, sans jamais mentionner leur erreurs.
Cette décision était peut-être compréhensible, alors que le
concile faisait suite à l'horrible holocauste d'un peuple d'une
seule religion. Dans le monde d'aujourd'hui, cependant, quand la
plupart des gens - incluant la plupart des catholiques - sont
indifférents à la religion, le besoin de distinguer entre les
religions est d'une importance primordiale.
Alors, comment les catholiques
devraient-ils aborder Vatican II ? D'abord, pour être clair,
ceci n'est pas un appel à « rejeter » Vatican II ou à
le déclarer hérétique. C'est un appel à cesser d'être menottés
à ce concile, à le dépasser. Trop souvent nous avons connu des
débats binaires à propos de Vatican II : vous devez soit le
suivre servilement (ou, plus précisément, en suivre une certaine
interprétation servilement), soit le rejeter complètement. Nous
avons besoin de mettre Vatican II dans la bonne perspective - aussi
bien le bon que le mauvais - et arrêter de voir tout problème à
travers une lentille Vatican II. Peut-être que le concile n'a pas
la réponse à nos problèmes ; ou, de manière encore plus
controversée, peut-être que la solution de Vatican II n'est pas la
solution adaptée pour aujourd'hui.
Aussi bien les libéraux que les
conservateurs catholiques ont fait de Vatican II la raison d'être
du catholicisme moderne, la lentille à travers laquelle toute la
foi est appréhendée. Cette pratique a transformé le concile en un
albatros, enchaînant les catholiques à des idées et des pratiques
inefficaces et dépassées.
Les catholiques n'ont pas besoin d'être
les membres d'un culte, essayant désespérément de sauver la face
en défendant chaque iota et chaque titre de Vatican II. Nous pouvons
admettre que nous avons des conciles dans notre passé qui, malgré
leurs bonnes intentions, n'ont pas fonctionné comme espéré, ou
dont les conseils pastoraux et la vision du monde ne s'appliquent
tout simplement plus à nous. Face aux (semble-t-il innombrables)
problèmes d'aujourd'hui, nous devrions nous concentrer sur les
points de notre Tradition qui ont fonctionné, et les
embrasser de nouveau, pour le bien de l’Église et le salut des
âmes.
Par Eric Sammons.
Traduction: Le Clocher de Saint Romain